Le rachat d’EA vire au chaos : salariés et politiques veulent bloquer la vente au fonds saoudien
Le rachat d’Electronic Arts pour 55 milliards de dollars provoque une véritable onde de choc dans l’industrie du jeu vidéo. Tandis que les investisseurs jubilent, les employés d’EA, les syndicats et les politiciens américains tirent la sonnette d’alarme.
Depuis son annonce fin septembre, le rachat d’Electronic Arts par un consortium mené par le fonds souverain saoudien PIF, Silver Lake et Affinity Partners (la société de Jared Kushner, gendre de Donald Trump) ne cesse d’enflammer les débats. Derrière cette transaction historique (55 milliards de dollars en cash) se cacheraient des risques majeurs pour la créativité, l’emploi et la sécurité nationale des Etats-Unis.

Crédit image : Electronic Arts
Des employés vent debout contre la privatisation
Au sein même d’EA, la contestation monte. Les membres du syndicat Communication Workers of America (CWA) dénoncent une vente conclue sans consultation des salariés et craignent que cette privatisation ne serve qu’à enrichir quelques investisseurs. Dans une déclaration commune, ils rappellent qu’EA n’est pas une entreprise en difficulté : avec 7,5 milliards de dollars de revenus annuels et un milliard de bénéfices, l’éditeur fait partie des acteurs les plus rentables du secteur.
Les représentants du personnel fustigent une transaction qui, selon eux, « concentrera encore davantage le pouvoir et la richesse entre les mains de quelques-uns ». Ils redoutent surtout des licenciements massifs destinés à « gonfler les dividendes des investisseurs » plutôt qu’à renforcer la société. D’autant que pour financer ce rachat, EA prévoit de contracter 20 milliards de dollars de dette, un fardeau qui pourrait bien retomber sur les équipes de développement.
Pour amplifier leur message, le collectif a lancé une pétition destinée à la Commission fédérale du commerce américaine, demandant aux régulateurs et élus d’examiner minutieusement cette opération et de protéger les emplois et la liberté créative.
Les politiques s’en mêlent : inquiétudes autour de la sécurité nationale
Les réactions ne se limitent pas aux murs d’EA. À Washington, plusieurs élus, dont les sénateurs Elizabeth Warren et Richard Blumenthal, ont adressé une lettre officielle au secrétaire du Trésor américain, exprimant leur « profonde préoccupation » face aux risques d’ingérence étrangère et aux implications potentielles pour la sécurité nationale.
Selon eux, le PIF – considéré comme un instrument stratégique du gouvernement saoudien – cherche à étendre son influence en acquérant une entreprise aussi emblématique qu’EA. Le fait que les investisseurs soient prêts à payer plus de 10 milliards de dollars au-dessus de la valeur marchande du studio suscite d’ailleurs de nombreuses questions sur leurs motivations réelles.
Les sénateurs soulignent également que la base de données d’EA, contenant les informations personnelles de millions de joueurs à travers le monde, pourrait devenir un enjeu géopolitique sensible. Ils demandent donc à la CFIUS (Committee on Foreign Investment in the United States) de mener une enquête approfondie sur cette privatisation avant le 4 novembre 2025.
Un débat qui dépasse le simple business
Au-delà de la question financière, c’est toute une philosophie du jeu vidéo qui semble vaciller. Les créateurs redoutent une ère où les décisions seraient prises par des exécutifs éloignés du terrain, plus soucieux de marges que de passion. Comme le résume un employé anonyme, « chaque fois qu’un fonds d’investissement prend le contrôle d’un studio, les artistes perdent en visibilité, en liberté et en pouvoir ».
Ce rachat pourrait marquer une nouvelle étape dans la transformation du secteur, où la créativité se retrouve souvent reléguée au second plan face à la logique financière. D’autant que, selon le Financial TImes les futurs propriétaire d’EA misent sur l’utilisation à grande échelle de l’intelligence artificielle généralisée pour réduire les coûts et gonfler les profits… Une stratégie qui n’est pas sans rappeler les ambitions controversées d’Elon Musk autour d’un jeu 100 % généré par l’IA.
Alors que la transaction n’a pas encore été finalisée, l’avenir d’EA reste suspendu à plusieurs inconnues. Les régulateurs américains pourraient freiner, voire bloquer le processus. En interne, la mobilisation s’intensifie pour défendre une vision du jeu vidéo fondée sur la créativité, la diversité et la passion.